Fresnes,
le 15 juin 1944,
Ma petite femme très aimée,
Mes chers petits.
Pardonne à ton pauvre mari pour le mal qu'il va te faire, ma chérie. Quand
tu recevras cette lettre, je ne serai plus. Je suis condamné à mort, l'exécution
doit avoir lieu cet après-midi à 3 heures. J'ai beaucoup de courage, essaie ma
chérie, d'en avoir autant que moi. Ne t'abandonne pas au désespoir, je pense à
nos petits. Elève-les, je t'en prie dans l'honnêteté la plus scrupuleuse.
Aie du courage, ma chérie, je finirai avec vos chers noms à tous sur les
lèvres. Je te demanderai de ne pas être trop triste à cause des petits. Sois forte.
Ils ne doivent pas, les chers petits, vivre entourés de tristesse. Sois la digne
fille de tes parents. Tu embrasses bien le père Le Mansec et ta mère pour moi.
Bien des choses également à la famille ainsi qu'aux voisins et amis. Ma pauvre
chérie, les enfants et toi n'êtes pas tard à souffrir. Supporte courageusement
cette dure épreuve.
Fasse le ciel que nous soyons les dernières victimes
de cette guerre atroce et que nos chers petits ne voient pas une catastrophe comme
celle-ci. Pense de temps en temps à ton pauvre Albert, ma chérie, mais de grâce
ne t'éternise pas dans ton chagrin. Sache bien que je t'ai aimée comme il n'est
pas possible de le faire. Nous aurions encore vécu si heureux si j'étais revenu.
Adieu, ma chérie et sois heureuse. Adieu mes chers amours.
Bon courage,
ton Albert qui t'adore et qui t'envoie ses derniers baisers.
Vive la
France.
Vive la paix.
Albert |